23.

Mme de Montpensier arriva à Paris au milieu d’un mois de janvier glacial, à peu près en même temps que Nicolas Poulain et Mme Sardini. Le froid terrible qui s’était étendu sur la France à la fin de l’année, et au début de 1587, l’avait contrainte plusieurs fois à des étapes prolongées. Pour la duchesse, le retour s’était fait dans la honte et dans des conditions d’extrême inconfort. À Angoulême, elle avait dû se faire prêter de l’argent pour acheter chevaux et voitures. Elle n’avait plus de linge, plus de bagages et les hommes d’armes qui lui restaient étaient démoralisés. Le capitaine Cabasset servait désormais de premier gentilhomme bien qu’elle éprouvât envers lui un sentiment mitigé, car elle ne comprenait pas pourquoi cette abjecte Cassandre de Mornay lui avait témoigné de la reconnaissance. En même temps, il était le seul sur qui elle pouvait s’appuyer.

Arrivée à l’hôtel du Petit-Bourbon, elle se reposa durant quelques jours, ruminant une terrible vengeance envers Cassandre et Olivier Hauteville pour qui elle ressentait à présent une incommensurable haine. Elle échafaudait ainsi d’effroyables représailles quand elle reçut la visite de Dominique Miraille. Le domestique lui annonça qu’il avait fabriqué la statuette de cire.

Miraille lui rappelait tout ce qu’elle avait éprouvé, et qu’elle rejetait désormais. Elle décida de le chasser, puis s’inquiéta de ce qu’il pourrait raconter, aussi fit-elle venir un ami procureur au parlement à qui elle expliqua qu’un serviteur de ses écuries pratiquait la magie. Elle lui demanda une enquête discrète à laquelle elle ne serait pas mêlée.

Le procureur, accompagné d’un conseiller et d’un exempt, pratiqua une perquisition dans la chambre du pauvre homme. Ils y découvrirent la statuette avec ses aiguilles, ainsi que toutes sortes de produits diaboliques pour faire des philtres. Miraille fut arrêté avec sa femme et sa belle-mère. Interrogé et mis à la question, il avoua tout et bien plus encore. Certes, il mit en cause la duchesse mais ce témoignage absurde fut rejeté. Pierre de L’Estoile raconta ainsi son exécution :

Le jeudi 26 février, Dominique Miraille, jadis concierge de la princesse de La Roche-sur-Yon, des faubourgs Saint-Germain-des-Prés, homme vieil, âgé de 70 ans, et une bourgeoise d’Estampes, sa belle-mère (de laquelle il avait en secondes noces épousé la fille, depuis deux ou trois ans, après la mort d’une bonne grosse vieille, sa première femme, laquelle on disait qu’il avait fait mourir par poison ou sortilège, afin d’épouser cette jeune seconde), par arrêt de la Cour, furent pendus et étranglés, puis brûlés au parvis de Notre-Dame, après avoir fait amende honorable devant ladite église, atteints et convaincus de magie et sorcellerie.

Nicolas Poulain retrouva sa famille avec une indescriptible joie et un immense soulagement. Mme Poulain, qui n’avait plus de nouvelles de son mari depuis des mois, était au désespoir. Heureusement, la robe de la duchesse de Montpensier lui fit vite oublier toutes ses angoisses. Quant au butin ramené en bijoux et autres, il rapporta quelques milliers d’écus qui furent placés chez un banquier, Nicolas songeant désormais à acheter une autre charge. Avec autant d’argent, les Poulain purent aussi acheter du bois pour se chauffer de tout leur saoul, car ce mois de janvier fut un des plus froids jamais connus.

Dès le lendemain de son arrivée, Nicolas Poulain se rendit rue du Bouloi, chez M. de Richelieu, à qui il raconta son voyage. Le grand prévôt de France lui montra sa satisfaction en lui remettant un millier d’écus de la part du roi et lui fit un résumé de ce qui s’était passé à Paris en son absence. Nicolas Poulain en retint surtout l’arrestation du financier Scipion Sardini.

Le banquier, qui recevait déjà les taxes sur les cabarets, avait obtenu l’affermage de nouveaux impôts. Certain de l’appui du roi, il avait commencé à les collecter sans que les édits nécessaires n’aient été enregistrés. Selon les parlementaires, il aurait même présenté de faux édits pour pouvoir agir en toute impunité. Il avait donc été arrêté et enfermé à la Conciergerie.

En colère, le roi avait convoqué le président du parlement qui avait pris cette décision. Devant la cour, Henri III l’avait injurié, presque frappé, et l’avait envoyé libérer Sardini.

Malgré cette preuve d’autorité, déplora M. de Richelieu, la volonté royale restait chaque jour bafouée et les caisses étaient désespérément vides. Il devenait même difficile de payer la garde suisse.

Pour faire face à cette disette, le roi avait convoqué au Louvre les principaux parlementaires, le prévôt des marchands et quelques notables bourgeois, ainsi que les cardinaux de Bourbon, de Guise et les seigneurs de son conseil. Il leur avait annoncé qu’il était résolu de faire la guerre à outrance contre ceux de la nouvelle religion et qu’il avait enjoint à ses officiers de se saisir des hérétiques et de vendre leurs biens pour subvenir aux frais de la guerre.

Cette harangue avait été reçue avec acclamations jusqu’à ce que le roi eût annoncé que, toujours pour financer la guerre, un impôt de six cent mille écus serait prélevé sur les plus aisés de la ville. Les bourgeois étaient repartis en grondant et le maudissant.

Après cet incident, Richelieu craignait que les seize ne s’agitent à nouveau, aussi demanda-t-il à Poulain de reprendre langue avec eux pour savoir ce qu’ils préparaient.

Enfin le grand prévôt lui commanda de se rendre à l’exécution d’une bande de faux monnayeurs. Le spectacle attirerait beaucoup de monde et le roi exigeait la présence de tous les prévôts des maréchaux pour montrer sa volonté de faire appliquer l’ordonnance de son père qui enjoignait les prévôts de punir et d’extirper des provinces les fabricateurs de fausse monnaie.

Les supplices auraient lieu en place de Grève où l’exécuteur de la haute justice pendrait un procureur qui avait fait circuler la fausse monnaie ainsi que le graveur de la bande. Quelques jours plus tard, ce serait leurs complices qui seraient pendus, l’un aux Halles et l’autre à la place Maubert. Enfin l’orfèvre qui avait organisé ce trafic serait bouilli aux Halles dans une grande marmite ; c’était la peine pour faux monnayage prévue par l’édit du 11 juin 1556.

De son côté, Poulain s’inquiéta auprès de Richelieu des mesures prises contre les derniers protestants de Paris, et dont ses beaux-parents lui avaient parlé la veille. Fataliste, le grand prévôt lui répliqua que c’était le seul moyen que le roi avait trouvé, sur les conseils de Villequier, pour faire rompre les négociations entre Navarre et sa mère.

Quelques jours plus tard, ayant repris ses chevauchées à Saint-Germain, Nicolas Poulain reçut la visite du commissaire Louchart et de Bussy Le Clerc.

Après avoir écouté un récit de son voyage (un récit fort incomplet, bien sûr), les deux ligueurs lui expliquèrent qu’ils avaient à nouveau besoin qu’il leur achète des armes. Ils préparaient une nouvelle entreprise et ils l’attendaient vendredi, à la prochaine réunion de la Ligue qui se tiendrait au collège de Forteret, en haut de la montagne Sainte-Geneviève.

Malgré une épaisse neige, Poulain s’y rendit et retrouva tous les comploteurs qu’il connaissait, ainsi que de nouveaux. En particulier, il aperçut M. de Nully, le président de la Cour des aides, qui n’était plus prévôt des marchands depuis que M. de Perreuse, fidèle au roi, l’avait remplacé[81]. Circulant entre les groupes avant que la réunion ne commence, Poulain remarqua que les ligueurs rageaient surtout contre le roi qui les saignait et les ruinait.

Le froid était mordant dans la salle non chauffée et beaucoup sautillaient en soufflant dans leurs mains. Enfin M. de Mayneville arriva accompagné d’une suite de gentilshommes, tous revêtus d’épais manteaux de fourrure. Ils escortaient le duc de Mayenne de retour de Guyenne.

Le silence se fit aussitôt et Mayenne s’installa dans une grande chaise, sorte de trône, qu’on lui avait préparé. Il remercia brièvement les bourgeois, et quand M. de La Chapelle s’inquiéta auprès de lui des impôts dont on les pressurait, il leur promit d’en parler au duc de Guise, son frère. Dans l’immédiat, ne pouvant s’opposer au roi, il leur suggéra de coller des affiches sur les portes afin de faire connaître à tout le monde les turpitudes royales et de rendre ainsi Henri III encore plus odieux.

Mayenne repartit sans rien proposer de plus, laissant les ligueurs fort désappointés. Après son départ, M. de La Chapelle prit la parole.

— Vous avez entendu monseigneur de Mayenne, mes amis. Je crois que nous ne devons désormais compter que sur nous. Monsieur Poulain, pouvez-vous nous acheter des mousquets ?

— Sans doute, hésita Poulain, mais pas beaucoup, vous le savez. Et ces armes sont très chères…

— Nous préférons utiliser notre argent à acheter des mousquets que le donner au roi pour ses mignons ! Monsieur Le Clerc, vous ferez porter deux mille écus à M. Poulain pour qu’il nous équipe. Et vous, monsieur Poulain, vous porterez ces armes chez moi et chez M. Le Clerc.

— Plus à l’hôtel de Guise ? s’étonna le lieutenant du prévôt.

— Non, il est temps que la Ligue parisienne montre sa force.

Nicolas informa Richelieu dans les jours qui suivirent, puis commença à acheter des mousquets en utilisant la lettre du prévôt Hardy que le grand prévôt lui avait donnée l’année précédente.

Ce ne fut que le vendredi 20 février qu’il apprit que les ligueurs de la Sainte Union avaient décidé de donner l’assaut au Louvre. Ils pénétreraient dans le palais le dimanche suivant par le pont-levis du côté de Saint-Germain-l’Auxerrois. Une armée de quelque cinq cents hommes était prête et La Chapelle lui demanda de la rejoindre à la Croix-du-Trahoir, le point de rassemblement.

Poulain rencontra Richelieu le lendemain. En dénonçant la tentative, il risquait fort d’être suspecté, mais il ne pouvait laisser attaquer le palais royal sans rien faire. Richelieu le rassura, car il n’y avait pas de raison pour qu’on le soupçonne plus que les cinq cents autres conjurés. En revanche, l’audace de l’entreprise l’inquiéta fort, car elle montrait à quel point les bourgeois parisiens n’avaient plus peur du roi, et combien ils étaient déterminés. Elle pouvait même réussir tant la garde suisse était clairsemée.

Le samedi 21 février, le roi fit renforcer la garde du palais et lever le pont-levis. Il ordonna aussi au prévôt des marchands d’organiser des rondes dans les rues de la ville et de saisir ceux qui circuleraient après le couvre-feu. Comprenant que leur entreprise était découverte, M. de Nully prévint son gendre, M. de La Chapelle, et l’expédition fut annulée.

Le lundi, comme le duc de Mayenne venait au Louvre, le roi l’accusa publiquement d’être responsable de l’entreprise qui venait d’être déjouée. Le frère de Guise, qui en ignorait tout, assura que ce n’étaient que ragots mensongers rapportés par les hérétiques afin de le rendre odieux. Henri III ne le crut pas et Mayenne repartit, alarmé par cette affaire qu’il ne comprenait pas et par les menaces du roi.

Henri III avait compris que l’irrésolution des chefs de la Ligue les avait fait reculer. Il poussa donc son avantage et établit dans tous les quartiers de la ville des chevaliers du Saint-Esprit pour monter la garde. En même temps, il fit rechercher dans les maisons suspectes les armes qui s’y trouveraient et fit crier à son de trompe que tout soldat sortît de la ville dans vingt-quatre heures, sur peine de la hart.

Les jours suivants, la Ligue, apeurée et sur la défensive, afficha des placards où on lisait :

Sera-ce toujours, pauvres catholiques, que vous vivrez en cette calamité, d’attendre que l’on vous vienne à toute heure couper la gorge dans vos lits, sous une prétendue fausse conspiration ?

Les affiches accusaient aussi les Parisiens de lâcheté et leur demandaient de ne plus céder à la force. Reprenez cœur ! y voyait-on. C’était un appel à l’insurrection.

Quelques jours plus tard mourut Charles Hotman, receveur de l’évêque de Paris et fondateur de la Sainte Union. Presque en même temps les Parisiens apprirent l’exécution de la reine d’Écosse, qui avait eu la tête tranchée comme criminelle de lèse-majesté.

Ces deux événements calmèrent, un temps, les esprits agités.

Pour la mort de Marie Stuart, nièce des Guise, la Cour et la maison de Lorraine prirent le deuil et il fut fait un solennel service religieux où assistèrent tous les grands du royaume, les cours souveraines, le Châtelet et le corps de la ville. Durant les semaines qui suivirent, les ligueurs crièrent partout que Marie Stuart était morte en martyre pour la foi catholique, apostolique et romaine. Une opinion soigneusement entretenue par Mme de Montpensier qui demanda aux prédicateurs des églises de louer la reine dans leurs sermons.

À Montauban, François Caudebec proposa à Olivier de le loger. Il occupait deux pièces au premier étage d’une rue sombre, étroite et non pavée, derrière la place d’Armes, et il savait qu’un bouge était disponible, à l’étage au-dessus. Olivier aurait pu trouver un logement plus agréable, il avait suffisamment d’argent pour cela, mais n’en éprouvant pas le besoin, il accepta le bouge qui ne contenait qu’un lit étroit et un coffre.

M. de Mornay était gouverneur de la ville. Il avait en charge non seulement la défense de Montauban et de ses environs mais aussi le ravitaillement, la justice et les affaires religieuses. Tous les matins, jusqu’en avril, Olivier se rendit chez lui où il avait continuellement des comptes à faire et des dépêches à écrire, travail qu’il partageait avec un autre secrétaire. Généralement, il dînait sur place et voyait Cassandre lors des repas. Cela lui suffisait.

L’après-midi, s’il faisait beau, avec Caudebec et d’autres gentilshommes, ils traversaient le Tarn par le grand pont de brique aux sept grandes arches, et, hors de la ville, ils s’entraînaient à l’épée, à la pique, au pistolet et à l’arquebuse. C’étaient parfois de véritables tournois auxquels assistaient M. de Mornay et les notables protestants de la ville, parfois rejoints par des hobereaux du Rouergue, du Quercy et du Périgord qui venaient à Montauban rencontrer le pape des huguenots.

Durant ces mois, Olivier ne se rendit jamais à la messe tout simplement parce qu’il n’y avait plus de lieu de culte. Depuis la prise du pouvoir par la bourgeoisie protestante en 1561, les églises catholiques montalbanaises avaient été saccagées et la plupart détruites.

Seule l’église Saint-Jacques était toujours utilisée, mais comme lieu de culte protestant.

Au début, Olivier priait seul. Puis il le fit moins souvent. Sa foi s’atténuait. La lecture d’ouvrages protestants accentuait cette tiédeur sans pour autant l’inciter à se convertir. Tout simplement, il n’arrivait plus à faire de la religion le centre de sa vie.

Malgré le froid continuel, Mornay était souvent en chevauchée. Si les villages autour de Montauban étaient convertis au protestantisme et si la ville, bastion de la foi calviniste dans le Quercy, était imprenable, les bandes de maraudeurs catholiques, les compagnies débandées de l’armée de Mayenne ou encore les mercenaires albanais menaçaient perpétuellement les campagnes et seule la présence de la troupe du gouverneur permettait de sécuriser les routes.

Entre deux leçons d’escrime, Caudebec racontait à Olivier les exploits du pape des huguenots. Ainsi, l’année précédente, Mornay avait empêché les catholiques de s’emparer de Figeac et de Cardaillac. Il avait aussi ravitaillé les places de sûreté protestantes sur la Garonne et fait de vigoureuses expéditions avec son artillerie pour protéger les moissons de Villemur et de Caussade.

À table, c’était Mme de Mornay qui parlait des exploits de son mari. Les villes et les villages catholiques du Quercy étaient devenus des refuges pour les opposants à Henri de Navarre, expliqua-t-elle un jour en racontant la prise de La Francèse[82], un petit bourg catholique à trois lieues de Montauban.

Ayant juré de le réduire, M. de Mornay l’avait attaqué avec quelques gentilshommes et une compagnie d’arquebusiers. Après avoir placé des pétards contre la porte, la troupe protestante était parvenue à entrer, mais des gentilshommes catholiques s’étaient portés au secours de la ville soutenus par des paysans. Mornay s’était donc replié à Montauban pour chercher du secours en laissant juste une garnison de cinquante hommes. Malgré cela, les catholiques avaient repris la ville, tandis que la garnison protestante s’était réfugiée dans une maison forte.

Revenu avec une petite armée, le gouverneur de Montauban avait compris que la reprise de la ville, désormais bien défendue, serait coûteuse. Il avait alors écrit un billet pour son capitaine enfermé dans la maison forte. Le mot disait :

Ayez bon courage, M. de Châtillon est arrivé avec une armée. Demain nous nous joindrons !

Le billet avait été confié à deux paysans qui s’étaient volontairement laissés prendre. Épouvantés en apprenant que du renfort arrivait, les bourgeois avaient abandonné La Francèse durant la nuit. Une ruse qui avait bien plu au roi de Navarre.

C’est cependant avec Philippe de Mornay lui-même qu’Olivier apprenait le plus. Non seulement le pape des huguenots possédait un incroyable talent de stratège dans cette guerre d’escarmouches, mais il était aussi un adroit ingénieur et un talentueux mathématicien. Il prodigua plusieurs leçons à Olivier, lui expliquant l’importance de la géométrie pour mesurer les hauteurs et les distances dans les parties d’une fortification. Il l’initia aussi au calcul de la solidité des voûtes et à l’importance des revêtements de fortification, des flancs concaves et des contreforts. Le jeune Hauteville, fort habile à manier les nombres, n’avait aucun mal à suivre, d’autant que son maître lui donnait régulièrement des livres à étudier le soir.

Mais c’est encore dans l’artillerie que Mornay était le plus savant et, ayant observé qu’Olivier savait calculer vite et possédait un juste coup d’œil, il entreprit d’en faire un bon artilleur. En premier lieu, il lui montra comment on taillait les boulets de pierre à l’aide de moules en fer afin qu’ils soient de même diamètre. Ensuite, il lui enseigna la manière de purifier le salpêtre et de faire de la poudre avec une part de salpêtre, une de soufre et une de charbon pilé, mêlées ensemble et arrosées de vinaigre. Enfin, il lui expliqua comment charger les pièces à feu de la ville, les longues couleuvrines, les crapaudeaux, plus courts, et les serpentines de gros calibre. La charge ne devait occuper que trois fois le diamètre du tube pour éviter d’abîmer le canon. Une livre suffisait, ensuite, à jeter une pierre pesant neuf livres à quinze cents pas.

Après ces travaux pratiques vinrent les cours de géométrie. M. de Mornay instruisit son élève sur l’utilisation de l’équerre et du fil à plomb pour calculer les inclinaisons et les courbes de trajectoire. Les cours avaient lieu chez lui et parfois Cassandre y assistait.

Olivier découvrait chaque jour à quel point Philippe de Mornay avait l’âme bien trempée du soldat et du stratège, mais aussi combien il était homme de science. À toutes ces qualités s’ajoutaient une rigueur morale et surtout une foi qu’Olivier lui enviait, car lui ne l’avait plus. Si M. de Mornay ne désirait rien d’autre que faire son devoir, il ne craignait que Dieu, et la Bible était son arme autant que son épée.

Après avoir assisté plusieurs fois à l’entraînement d’Olivier, après avoir froissé l’épée avec lui et lui avoir appris tout ce qu’il savait sur l’artillerie et l’usage des poudres, Mornay jugea que le jeune homme était capable de l’accompagner en chevauchée pour combattre les catholiques. Il le convoqua en avril à une réunion des capitaines.

Le pape des huguenots avait décidé d’attaquer un petit village à trente lieues de Montauban. Olivier n’en comprit pas bien le nom, sinon qu’il finissait par « gnac », comme beaucoup de lieux en Quercy et en Périgord.

Plusieurs officiers jugeaient la place de médiocre intérêt. C’était une longue chevauchée, par un temps glacial, pour tenter de s’emparer d’un bourg bien fortifié, mais sans importance, remarquèrent-ils. Et comme ce n’était pas la première fois que M. de Mornay leur proposait cette équipée, l’un d’eux lui rappela que le roi de Navarre avait déjà déconseillé cette expédition en disant qu’il ne fallait pas s’embarquer sur de mauvais vaisseaux.

— J’ai choisi cette place malgré vos réserves, répondit Mornay avec le sourire, parce que celui qui la possède est maître des communications entre le Quercy et le Languedoc…

Sur une carte qu’il avait préparée, il leur montra alors les routes vers le sud, et combien ce bourg permettait de les contrôler. Les plus réticents en convinrent et l’entreprise fut décidée. À la fin de la réunion, Philippe de Mornay annonça à Olivier qu’il en serait.

Ils partirent le lendemain et arrivèrent sur place deux jours plus tard. Le bourg n’était qu’un petit village fortifié au sommet d’une butte, mais ses impressionnantes murailles le rendaient apparemment imprenable. Olivier était équipé de son casque et de la cuirasse de cuivre gagnée à Garde-Épée, ainsi que de l’épée et de la main gauche que Poulain lui avait conseillé de prendre. Sous son manteau, il tremblait autant de froid que d’inquiétude, car c’était son premier assaut comme soldat. Certes, il s’était déjà battu, notamment pour délivrer celle qu’il aimait ou encore lors de combats imposés par les circonstances, mais cette fois, il allait prendre la vie à des gens inconnus sans raison autre que de faire la guerre.

Ils attaquèrent la nuit, alors qu’il gelait à pierre fendre. Les murailles étaient cernées par un profond fossé et, pour ne pas paraître poltron, Olivier s’était porté volontaire dans le groupe qui portait les échelles, celui qui prenait le plus de risques.

Comme il descendait dans le fossé avec ses compagnons, il entendit la sentinelle crier :

— Qui va là ?

Chacun retint son souffle, puis la voix retentit à nouveau après qu’un autre garde eut interrogé :

— Ce n’est rien ! Je pensais avoir entendu quelque bruit.

Passée cette alerte, les assaillants s’avancèrent contre les murailles, hautes de trente-six à quarante pieds, pour y planter leurs échelles emboîtées les unes dans les autres. Aussitôt qu’elles furent installées, ils montèrent à la file sur les murailles et les premiers arrivés tuèrent la sentinelle. Le capitaine qui dirigeait Olivier, suivi de son détachement, descendit au corps de garde, situé contre la porte du bourg. Ils y surprirent dix ou douze pauvres gens qui veillaient pendant que les riches dormaient dans leurs lits. Comme ils acceptèrent de faire silence, ils n’eurent point de mal. C’étaient les ordres de M. de Mornay qui voulait limiter les massacres inutiles. Mais comme ceux-là n’avaient pas les clefs des serrures – celles-ci étant remises chaque soir à leur colonel –, un des soldats monta sur la muraille et s’écria :

— Au pétard ! Au pétard !

Aussitôt, on fit jouer la mine qui rompit la porte, et on en mit une autre contre le pont-levis de la ville. Malgré un passage fort étroit, Mornay entra parmi les premiers, suivi de Caudebec et d’Antoine. Rejoint par Olivier, leur groupe fila rapidement vers la halle et l’église bien que les deux explosions aient réveillé les habitants qui sortaient des maisons armés et équipés.

Pour se donner du courage, et se reconnaître dans la nuit, les assaillants criaient :

— Vive Navarre ! Vive Navarre !

Olivier au moins aussi fort que les autres.

Auprès de l’église, le lieutenant de la ville et quelques habitants s’élancèrent courageusement, mais la blessure à mort du lieutenant, tué par Caudebec, fit perdre cœur aux habitants qui ne pensèrent plus qu’à se sauver.

Moins d’une heure après le début de l’attaque, Mornay et ses hommes étaient maîtres du bourg sans plus de perte que cinq ou six hommes alors qu’ils avaient tué vingt-cinq habitants. Olivier s’était battu comme un diable, ayant même tué deux gardes et n’ayant récolté qu’une estafilade. Mais ce ne fut qu’à la pointe du jour et forts d’être maîtres de la place que les soldats se mirent au pillage. Même si quelques femmes furent violées, aucun habitant ne fut blessé ou tué à ce moment-là. Les protestants se saisirent de cinq canons de batterie et d’une grosse quantité de poudre, ainsi que de deux couleuvrines fort longues et de trois autres couleuvrines moyennes. Cette bonne prise renforcerait les défenses de Montauban.

En rentrant, après avoir laissé une garnison, Mornay confia l’artillerie saisie à Olivier, à charge pour lui de rendre les couleuvrines moyennes transportables, lors des prochaines expéditions. Il ajouta qu’il avait été satisfait de son comportement et de son obéissance aux ordres donnés.

C’est à leur retour à Montauban qu’ils apprirent que le vicomte de Turenne avait repris la ville de Castillon. Et comme il avait besoin de renfort, Mornay rassembla à nouveau ses gens pour passer en Gascogne et porter secours à la ville de Leyrac.

Malgré le froid intense, cette vie d’aventures se poursuivit en mai, mais ayant été blessé, M. de Mornay s’installa à Nérac pour se soigner. Sa famille le rejoignit et Olivier put ainsi rester quelques jours avec Cassandre. Ce bonheur fut cependant de courte durée, car en juin, Navarre les appela à La Rochelle.

La situation venait de s’aggraver pour le Béarnais.

La guerre des amoureuses
titlepage.xhtml
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_000.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_001.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_002.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_003.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_004.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_005.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_006.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_007.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_008.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_009.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_010.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_011.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_012.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_013.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_014.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_015.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_016.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_017.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_018.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_019.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_020.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_021.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_022.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_023.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_024.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_025.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_026.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_027.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_028.htm
Aillon, Jean d'-[La guerre des trois Henri-2]La guerre des amoureuses(2009)_split_029.htm